Than
(quel esprit !) : Tes
deux séries les plus connues, à savoir Spoon &
White et Polstar relèvent de deux genres assez différents.
La première étant plus une parodie de séries
télévisées et de films, alors que la seconde
présente principalement une violence pouvant apparaître
comme "gratuite". D'où ces quelques interrogations...
Than : Cette violence représente-t-elle, pour toi et ton
père, votre
vision de ce que sera le monde dans le futur ?
Simon : Non, pas plus qu'une
vision du présent.
Than : Penses-tu que la violence
dans la BD passe mieux aux yeux du public que dans un film ou
un jeu video ?
Simon : Elle laisse davantage
de place à l'imagination, moins cependant que la litterature.
Ce média fait plus travailler le recepteur qu'est le lecteur.
S'il n'a pas de prejugés entre les interactivités
de l'imaginaire et de la
vie réelle, çà ne lui posera pas trop de
problemes. Ce sera alors moins
traumatisant qu'un film ou un jeu video qui impose une vision
plus "realiste ".
Si le lecteur ne sait pas gerer son imaginaire, ca peut etre plus
eprouvant de lire de la violence plutot que de se la voir imposer
durant un lapse de temps determiné.
Than : Ne crains-tu pas qu'à
force de "banaliser" la violence,
celle-ci ne prenne le dessus dans le monde réel,et que
la montée de la violence en est le résultat ? Est-ce
pour éviter celà que vous l'exagérez ?
Simon : La banalisation de la
violence ne passe pas par les medias que l'on choisit de consulter
mais par les journaux televises qui vont à la surenchère
visuelle. Ce n'est pas de l'information mais de la provocation
pour nous garder devant la chaine, dans un monde normal, il est
inutile de montrer des cadavres en morceaux pour expliquer qu'il
y a des morts. Les images "choc" pouvant et devant sans
doute etre presentes dans les emissions du type magazine qui dependent
d'un choix du recepteur. Le reel probleme est quand ce
que l'on nous montre comme etant la realité cherche à
avoir le meme impact que ce qui tient de la fiction. La tension
est une chose, elle est presente mais elle n'est pas à
confondre avec la violence.
Than : Cette exagération
est-elle faite pour condamner la violence et de ce fait pour que
le lecteur ait un sentiment de dégoût envers elle
?
Simon : La violence exagérée
permet de bien faire comprendre qu'on est là pour rire,
pas pour prendre les choses à coeur. L'exagération
permet le décalage.
Than : Penses-tu que la violence
présentée de façon extrème, la montrant
dans ses moindres détails, touche plus le public et qu'elle
est la seule façon d'alerter les gens? Faut-il montrer
cette violence pour que les gens soient plus attentifs Ã
toutes les horreurs de ce monde ?
Simon : Non, du fait de sa banalisation.
On le constate egalement avec les images de guerre qui nous heurte
moins que quand elles sont arrivées au journal quotidien
pendant au moins 15 minutes par jour à partir de 1991.
Aujourd'hui des images de terrorisme font davantage réagir,
je ne sais pas ce à quoi nous aurons droit comme horreurs
une fois qu'on aura compris que nous ne sommes pas directement
impliqués et qu'on s'offusquera autant des images de terreur
que des images de guerre.
Than : Et cette violence est-elle
l'expression d'un ras le bol face à toute cette violence
gratuite que l'on voit un peu partout selon toi ?
Simon : Non, c'est juste un ressort
dramatique pour emmener le lecteur ou l'on veut : le faire entrer
dans une ambiance ou tout peut arriver. La violence ne doit pas
etre uniquement presente pour garder l'attention du recepteur.
Than : Ce qui nous amène
donc à parler de Polstar, ta bande-
dessinée qui montre le plus cette violence...
Than : Bien qu'étant une BD, Polstar n'est pas à
mettre entre toutes les mains, notamment des plus jeunes. Cependant
penses-tu que parler de la violence très tôt aux
enfants pourrait permettre une prise de conscience plus radicale
du monde dans lequel on vit ? Etait-ce votre but à toi
et à ton père, ou était-elle simplement ciblée
sur un public restreint ?
Simon : Les enfants doivent etre
confrontés à la violence, ca fait partie de notre
vie et il ne faut donc pas leur cacher. Cependant, la lecture
s'averant etre un acte volontaire, il peut s'arreter quand il
le souhaite, en discuter et eventuellement reprendre sa lecture,
c'est son choix. Ce qui n'est pas le cas de nombreux médias
qui imposent et limitent le choix.
Than : Personnellement j'adore
cette BD et la façon dont tu tournes la violence en dérision.
Peut-être essaie-tu de dédramatiser cette violence
en allant jusqu'à un point ridicule ? (Je pense notamment
au moment où Polstar tire dans le singe coincé dans
la bouche d'aération afin de passer à travers lui
pour pouvoir atteindre l'autre côté).
Simon : Ce que j 'essaie de faire
est de la rigolade, la violence exagérée n'est presente
que comme une bonne bouteille dans une fete, ca nous permet de
transgresser certaines " lois ", d'aller plus loin que
ce que notre morale nous ordonne.
Than : Chaque acte de violence
apparaît de façon exagérée, comme on
l'a déjà dit, ce qui peut paraître pour certains
choquant. Est-ce l'effet voulu ?
Simon : Oui, il y a des gens
qui n'aiment pas quand les fetes perdent tout contrôle,
moi, oui car ce sont de ces fetes dont on se souvient, pas de
celles ou tout se passe comme prevu.
Than : Précédemment
j'ai utilisé l'expression "violence gratuite"
pour définir Polstar. Est-ce ainsi que tu conçois
ta BD?
Simon : Non, je pense qu'elle
est payante, les gens ne restent pas indifférents à
cette bande dessinée, l'important n'est pas de plaire mais
de créer des emotions et sans cette violence outrance,
je ne pense pas que nous l'obtiendrions sur cette histoire.
Than : Polstar nous semble à
priori innofensif du haut de son "mètre-
cinquante", et en aucun cas capable de réaliser de
telles horreurs par la suite. Comment expliques-tu ce changement
de comportement ?
Simon : La bête a pris
le dessus sur l'homme, il devient un fantasme et abandonne totalement
ses eventuels sentiments.
Than Abigail est sûrement
le personnage le plus touchant, le plus
sensible dans la BD. Elle est celle qui arrive à empêcher
Polstar de
commettre d'autres crimes. Son rôle est-il d'être
un contrepoids à toute cette violence engendrée
par les trois sages ?
Simon : Non, c'est pour mieux
se moquer de nous. C'est un petit peu notre morale ancrée
dans l'enfance qui est capable de dire " assez ". Je
crois que c'est pour cela qu'on lui fait un sort au quatrieme
album pour pouvoir mieux redemarrer, virer cette morale et ce
bon sens qu'on croyait retrouvé.
Than : Abigail était
vouée à une mort certaine, et ce qui l'a sauvée
fut la mort de ses parents. Avez-vous voulu montrer qu'un tel
drame peut avoir des conséquences bénifiques ?
Simon : Non.
Than : Penses-tu qu'un excès
de violence causant des drames tels ceux subis par Polstar et
Abigail engendre nécessairement un sentiment de révolte
et de revanche allant jusqu'à ce point extrême ?
Simon : Oui et c'est heureux
qu'il en soit ainsi. Maintenant pour la tranquilité de
notre société, il est benefique que peu de monde
passe à l'acte.
Than : Il apparaît également
que le pouvoir de Mégapolis exerce une
véritable pression sur son peuple à tel point qu'il
contrôle tout de façon extrèmement répressive.
Penses-tu qu'un jour le monde sera soumis à un tel point
de "tolérance zéro" ?
Simon : Non, il faut juste etre
conscient que les gens qui nous dirigent ont le meme vocabulaire
que nous mais n'y mettent pas le meme sens. Nous souhaitons tous
combattre la pauvreté, seulement pour les petites gens,
ca ne veut pas dire exterminer les pauvres. La société
est organisée pour servir les décideurs, nous en
sommes de plus en plus conscients, la tolérance zero sert
leurs interets au moment où ca gronde. Ca nous tiendra
pour un moment.
Than : Outre la violence physique
visible dans Polstar, on constate dans le premier tome que la
famille passe à l'arrière-plan dans les yeux de
Nicolas Polstar, qui se préoccupe plus de sa couveuse que
de la mort de ses enfants et de sa femme. L'esprit de famille
vous semble-t-il de plus en plus mis de côté aujourd'hui
?
Simon : Non, pas l'esprit de
famille mais l'esprit de clan. Desormais, on fait partie de grands
ensembles, de grandes denominations. Je pense que des clans peuvent
tres bien coexister, pas des " individus " qui ne trouvent
pas leurs racines.
Than : A la fin du tome 3, le
calme et la paix reviennent sur Mégapolis
avec l'arrivée au pouvoir des 3 guides dont Polstar. Il
est difficile de
l'imaginer prônant la non-violence après tout ce
qui s'est passé. Qu'en
dis-tu ?
Simon : Il anihile l'esprit critique
de ses concitoyens, c'est sa manière de proner la non violence.
Than : Polstar présente
plusieurs cycles. Tout d'abord celui où les trois sages
exerce le pouvoir sous sa forme la plus oppressive, puis celui
des trois guides prônant la non-violence. Dans chaque cas
il en résulte un bain de sang. Penses-tu que la vie est
un éternel recommencement, et que la violence sera de fait
toujours présente ?
Simon : La violence fait partie
de l'homme et sera donc toujours présente. Les guides pronent
la non violence pour les autres, pas pour eux, c'est, il me semble
tres proche de ce que nous vivons actuellement.
Than : Les personnages principaux
de Polstar ont-ils tous un modèle réel, comme Monkey
et Bruce Willis ? Si oui, leurs comportements sont-ils en accord
avec la réalité ?
Simon : Non. (mais je ne comprends
pas bien la question, mais non quand meme)
Than : Comment considérez-vous
votre propre oeuvre Polstar ? Non-violente, extrèmement
violente ...?
Simon : Drôlement violente.
Than : A contrario, Spoon &
White est une BD extrèmement moins
violente, du moins dans sa représentation. On voit moins
de membres
déchiquetés, une violence moins subjective (explosion
du MCdo,
ou du preneur d'otage en haut de l'immeuble sans entrer dans les
détails). Finalement, tu montres toute la bétise
de la société contemporaine, entre les bavures policiaires
et l'esprit tordu de certains journalistes face à l'horreur,
ou encore les agressions diverses dans les rues, d'une façon
comique sans aller au fond comme dans Polstar. Pourquoi ce choix
?
Simon : C'est une porte d'entrée
vers polstar pour les gens que la violence apparente de polstar
dérange.
Than : Bien que plus dicrète
dans Spoon & White, la violence est le
quotidien des deux anti-héros, étant flics New-Yorkais.
Voulais-tu montrer cette forme de violence à travers cette
BD ou désirais-tu simplement faire une parodie de la société
et réaliser une BD avant tout humoristique ?
Simon : Il s'agit principalement
d'une caricature de l'Amérique surarmée, mediatiquement
discutable, ayant une vision simpliste du monde.
Than : Dans Spoon & White,
Spoon paraît plus agressif alors que White est plus réservé
et plus calme. Il est possible de constater une ressemblance entre
Spoon et Polstar (même taille, même style de visage,
mêmes reactions). Le fait que ce genre de personnage ait
un comportement impulsif et violent est-il voulu ou est-ce un
hasard ?
Simon : Ce sont des choix de
ridicule, on attend davantage de violence d'un grand type musclé
que d'une personne à verticalité contrariée.
Than : Enfin est-il possible
d'imaginer Polstar sans violence ? Et à
l'inverse Spoon & White extrèmement violent ?
Simon : Non, je crois que nous
avons un niveau de violence en accord avec ce que nous racontons.
Than : Merci beaucoup pour ces indications ma foi frt intéressantes
! :o) Ce fut un plaisir de t'interviewer !
Simon : Merci à toi ;o)
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